L'art urbain a-t-il sa place au musée ?
L'histoire commence à la fin des années 1970 à New York: des toiles bariolées peintes par des artistes adolescents surgis de nulle part ont commencé à se vendre dans les galeries d'art. L'art pop avait déjà habitué les riches collectionneurs à une certaine irrévérence, mais il y avait dans ce nouvel art-là une énergie différente, celle d'une jeunesse intransigeante et provocatrice. Le marché du street art venait de naître. L'intérêt pour les possibilités de ce nouveau secteur économique séduit quelques années plus tard certains collectionneurs et galeristes européens, qui se mettent à concevoir de grandes expositions dans des lieux emblématiques (le Palais de Chaillot, la fondation Cartier, le Grand Palais…) pour promouvoir le nouveau style avec fracas. Et ça marche. Alléchés par l'aspect « jeune » de cet art venu de la rue, les décideurs politiques emboîtent le pas au marché. Partout en Europe poussent des murs pignon ornés de peintures. Chaque ville essayant de renouveler et rajeunir son image veut son parcours street art. Devant cet engouement croissant du public et des donneurs d'ordres, les conservateurs et conservatrices de musée ont commencé à paniquer. Allait-il falloir faire une place à cet «art moche» sur les beaux murs blancs de leurs institutions?
Cette petite fable caricaturale, qui ne regarde que par le petit bout commercial de la lorgnette, nous rappelle combien l'art urbain et le musée font deux. Non pas parce que l'un viendrait de la rue, avec tout ce que cela connote de subversion et d'énergie contestataire, et que l'autre serait irrémédiablement immobiliste, bourgeois et poussiéreux, non. C'est plutôt qu'un malentendu persiste, qui rend le dialogue difficile. Qu'est-ce que cet art qui attire des collectionneurs analphabètes et des intermédiaires véreux? dit la conservatrice horrifiée. Qu'est-ce que ces gens coincés qui nous récupèrent pour se donner des airs de modernité? disent les artistes.
L'art est plus vieux que le musée: il ne l'a pas attendu pour exister, et ses formes sont nombreuses, qui dépassent la simple peinture de chevalet – preuve en est aujourd'hui l'art urbain, qui fait du contexte et de son inscription dans la ville l'une de ses matières les plus fécondes. Le musée, quant à lui, malgré sa courte histoire (trois siècles et demi à peine) n'est pas resté figé et ne conserve pas que des tableaux dans ses cadres dorés; il s'est ouvert depuis bien longtemps à la performance, à l'éphémère, au populaire, à l'irrévérencieux. Mais qu'est-ce que ces deux univers, l'un vouant un culte à l'instant et l'autre à la durée, pourraient bien avoir à faire ensemble ?
Ils peuvent tout à fait continuer de s'ignorer, et nombreuses sont les institutions et les artistes qui se passent bien de tout terrain commun. Mais si on pense le musée comme le miroir et la caisse de résonance des sociétés et de leurs cultures, n'est-il pas nécessaire qu'il s'intéresse à cet art contemporain qui fait tant parler de lui? Et l'art urbain ne gagnerait-il pas à se frotter à la longue histoire de l'art et à se penser en dehors de la frénésie du marché? Les musées regorgent de ressources intellectuelles, et de professionnel.le.s rompu.e.s à l'accompagnement des artistes. Plutôt que «l'art urbain a-t-il sa place au musée?» ne faudrait-il pas se demander ce que le musée peut faire pour l'art urbain?
Le musée des Beaux-Arts de Nancy et l'art urbain
Au beau milieu des collections permanentes d'art contemporain, un mur "In&Out" est à disposition des street artists depuis 2019. Inauguré par Poch (photo), il est repris par Alexöne Dizac en 2021. En 2023, c'est l'artiste Fennek qui est invité à le recouvrir, à l'occasion des Rencontres urbaines de Nancy 2023 ! À suivre...
Madame, Mare Est Cage,
installation au Musée des Beaux-Arts de Nancy, 2022.
(c) Ville de Nancy. Adagp, Paris 2023
Initialement invitée à concevoir le mur in&out du musée, Madame s'est finalement installée dans les salles temporaires pour nous convier à un parcours initiatique pendant l'édition 2022 des Rencontres. Son exposition nous invitait à pénétrer dans un espace hors du temps pour un voyage dans le théâtre de nos inconscients, entre chambre des merveilles et chambre d 'écho...
Aryz, WORK in progress
exposition au Musée des Beaux-Arts de Nancy, 2019
(c) S. Levaillant/ Musée des Beaux-Arts de Nancy, 2019
Jeune artiste espagnol né en 1988, Aryz s'est fait rapidement une place sur la scène internationale du street art.. Depuis déjà une dizaine d'années, il a apposé sa marque dans de monumentales compositions murales à la ligne graphique puissante et aux couleurs désaturées un peu partout dans le monde. Pendant plusieurs années, en parallèle de son activité sur les murs des villes, il s'est construit une pratique d'atelier, à l'ancienne. En 2019, le musée des Beaux-Arts lui a consacré une exposition dans laquelle Aryz a livré généreusement ses médiations et son cheminenment plastique et intellectuel.
Pour en savoir plus sur la question, rendez-vous sur le site de la Fédération de l'art urbain: