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Où sont les femmes et les personnes queer dans les cultures urbaines ?

Avec Susana Gállego Cuesta

Le hip-hop, l'une des matrices principales des cultures urbaines contemporaines, est apparu depuis ses débuts comme étant un mouvement contestataire, très critique avec l'establishment culturel et social. De ce fait, il a pu être perçu par les classes dominantes comme un mouvement clivant, voire menaçant, puisque supposément porteur des valeurs et revendications d'une jeunesse urbaine pauvre et racisée. Pourtant, de l'intérieur, la culture hip-hop se vit elle-même depuis ses débuts comme une culture où la mixité et le métissage sont la norme, et où tout un chacun, du moment qu'il accepte les règles non écrites du game (partage, prise de risque, défi et jeu, entre autres), peut participer. Alors, pratique de sauvageons de banlieue (1) ou culture inclusive ?

À l'observation, on s'aperçoit rapidement que, si mixité il y a, elle est sociale et culturelle, mais non de genre. A l'image de notre société toute entière, de nos villes, de nos institutions et de nos structures sociales, le milieu des cultures urbaines est un milieu machiste. Les hommes y règnent en maîtres, et construisent sans en être toujours conscients une culture aux valeurs virilistes. La mise en avant de l'affrontement agonistique y est la norme, et le vocabulaire guerrier domine : n'en déplaise à Afrika Bambaataa (2), tout se résout dans des battles, et les raids d'un crew sur le territoire d'un autre sont monnaie courante.

Oui, les cultures urbaines, comme notre société capitaliste, sont hétéronormatives et patriarcales.

Mais est-ce à dire que leur idéologie serait plus misogyne et transphobe que l'idéologie dominante? Ou fondamentalement masculiniste ? Qu'il n'y aurait aucune place pour les femmes et les personnes queer ?

Au contraire, et sans doute parce qu'elles sont contestataires dans leurs fondements même, les cultures urbaines sont aussi un espace de liberté et d'expression. La danse hip-hop, du breakdance à la danse debout, la mode, la glisse, sont des territoires investis depuis longtemps par toutes les identités de genre – avec effort et opiniâtreté, il est vrai. Le développement professionnel de disciplines telles que le break, le surf et le skate, tout aussi décrié soit-il par une partie des pratiquant.e.s de ces disciplines, favorise néanmoins l'ouverture genrée et promeut des personnalités telles que les b-girls Stefani ou Kastet, championnes du monde de break de ces dernières années, Lisa Andersen dans le surf, Leticia Bufoni ou la très jeune Momishi Nijiya dans le skate. Même le graffiti writing, milieu viriliste s'il en est, a vu s'affirmer dès ses débuts des personnalités telles que Barbara 62 et Eva 62 ou Lady Pink ; Faith XLVII émerge quant à elle en pionnière dans le milieu très testostéroné du writing sud-africain. Dans la musique hip-hop, que ce soit du côté des artistes ou du côté de l'industrie musicale, les femmes et les personnes queer restent fortement sous-représentées et peu exposées. Mais des personnalités éminentes marquent désormais les esprits : de Beyoncé à Lil Nas X, en passant par Kae Tempest, Casey, Darkksun, Linn da Quebrada, Katastrophe, Sir Mantis ou Kiddy Smile, le paysage musical s'enrichit de nombreuses sensibilités et engagements depuis quelques décennies.

Oui, les cultures urbaines, comme notre société patriarcale, sont progressivement modifiées de l'intérieur par les femmes et les personnes queer.

Reste que cette ouverture doit être accompagnée pour pouvoir s'installer et se pérenniser. La création d'espaces de pratique en non-mixité choisie pour toutes les disciplines physiques, plastiques ou musicales, devrait être prise en compte dans l'aménagement de l'espace urbain. La prolifération des city stades, si elle peut paraître une bonne solution pour intégrer les pratiques informelles, crée de fait des espaces exclusivement masculins, desquels les femmes comme les hommes à la masculinité non hégémonique sont exclu.e.s, sans parler des personnes à l'identité de genre non normative.

Mais il y a aussi un travail d'écriture de l'histoire des cultures urbaines qui doit être fait, qui doit s'attacher à faire ressortir la complexité des influences et la diversité des acteur.rice.s. Par exemple, le rap est historiquement lié à la ball culture(3), et son histoire peut également être écrite depuis ces marges queer qui aujourd'hui affirment peu à peu leur centralité. De même, l'art du pochoir et du graffiti a de nombreuses accointances avec l'activisme punk écoféministe. Les femmes et les personnes queer sont présentes partout et de tout temps, reste à en raconter l'histoire dans le détail.

Oui, les cultures urbaines, comme notre culture en général, gagnent à être queerisées, écrites et réinventées d'un point de vue féministe (4).

1- L'expression raciste a été utilisée lors d'une interview sur RTL par le ministre de l'intérieur de l'époque, Bernard Cazeneuve, le 10 octobre 2016.

2- Le leader de la Zulu Nation, et l'un des fondateurs du mouvement hip-hop, répand depuis le milieu des années 1970 un message pacifiste et inclusif, que l'on résume sous le célèbre slogan « Peace, unity, love and havin' fun ».

3 - La Ballroom scene, apparue dans les années 1920 à Harlem, devient un lieu de sociabilité gay, lesbien et trans dans les années 1960-1970. Dans des espaces clos à l'abri des violences faites aux minorités, s'expriment par la danse et la performance des cultures politiques et des identités de genre non hétéronormatives. Organisé.e.s en houses, les participant.e.s sont jugé.e.s selon différents critères apparentant ces événements à des concours. Le film documentaire Paris is Burning, réalisé en 1990 par Jennie Livingston, donne un aperçu de quelques acteur.rice.s de la scène.

4- Pour en savoir plus : https://madamerap.comhttps://skateher.nethttps://www.redbull.com/ca-fr/surfeuses-histoirehttps://information.tv5monde.com/terriennes/hip-hop-ou-sont-les-femmes-39417

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